La SFEN et WiN Bourgogne Franche Comté ont invité Jean François Sornein, ancien directeur du CEN de Valduc, ancien directeur du Département de Géophysique au CEA, et Président de la SFEN Essonne pour une conférence [1] sur le thème de Fukushima à Dijon le 23 Mai 2018.
Jean François Sornein : « Le 11 Mars 2011 la côte nord-est du Japon subit le 4ème plus fort séisme mesuré sur la planète. Ce séisme de magnitude 9 résulte d’un déplacement brutal de plus de 15 m dans le plan de subduction de la plaque Pacifique sous la plaque Eurasie, affectant en quelques minutes une longueur de près de 400 km à moins de 150 km de la côte. La composante verticale du mouvement du fond de l’océan déplace toute la colonne d’eau et génère une onde de faible hauteur (de l’ordre du mètre), de très grande longueur d’onde et de très grande vitesse de propagation par grands fonds (800 km/h). A l’approche de la côte, la réduction de la profondeur induit un fort ralentissement et une amplification considérable de la hauteur de cette onde (plus de 10 m), qui provoque un tsunami dévastateur : 16 600 morts et disparus »
Dans un premier temps le site nucléaire de Fukushima Daichi, qui comprend 6 réacteurs à eau bouillante (REB) subit les très violents mouvements du sol induits par le séisme majeur qui vient de se produire à faible distance. Les dispositifs automatiques de sécurité mettent immédiatement à l’arrêt les trois réacteurs en fonctionnement (les 3 autres réacteurs étaient à l’arrêt). Les générateurs électriques diesel de secours se mettent comme prévu en route suite à la perte des lignes électriques extérieures au site. Le refroidissement des cœurs est assuré et la situation est sous contrôle.
45 minutes plus tard, le tsunami déferle sur le site, débordant largement le mur de protection, endommageant les installations, noyant les alimentations électriques de secours mal protégées et les tableaux électriques. Quasiment sans électricité, privée de l’essentiel des mesures de contrôle (pression, hauteur d’eau dans la cuve des réacteurs, température…) et de commande (ouverture ou fermeture de vannes électriques ou pneumatiques…), l’équipe sur place va affronter une situation exceptionnellement difficile, et tenter par tous les moyens de maintenir le refroidissement des cœurs des réacteurs 1, 2 et 3, qui viennent de s’arrêter et pour lesquels il faut impérativement évacuer la chaleur résiduelle. Malgré ces efforts, la situation ne pourra pas être maîtrisée. Au fil des heures et des premiers jours, la fusion partielle des cœurs va intervenir, avec production d’hydrogène, pertes de confinement (gaines, cuves, enceintes), explosions d’hydrogène dans les bâtiments, et relâchement de produits de fission volatiles dans l’environnement (Iodes et Césiums pour l’essentiel), en quantité importantes, mais nettement inférieures à Tchernobyl (10% et 30% respectivement).
La sous-évaluation de la hauteur potentielle d’un tsunami est à l’origine de l’accident. D’autres faiblesses des dispositions de sûreté ont alourdi ses conséquences : non prise en compte du risque d’explosion hydrogène (pas de recombineurs), absence de filtres à sable qui auraient permis de limiter efficacement les rejets radioactifs.
Dans la phase post accidentelle, le refroidissement par aspersion d’eau des trois cœurs endommagés a généré et génère encore des quantités importantes d’eaux fortement contaminées, qui se mélangent aux eaux naturelles souterraines baignant la partie inférieure des réacteurs accidentés. Des travaux très importants ont été réalisés pour limiter au mieux les transferts de ces eaux vers l’océan : paroi étanche le long de l’océan, enceinte périmétrique étanche par gel des sols autour des 4 réacteurs accidentés. Les eaux contaminées sont pompées et traitées en ligne (extraction des radioéléments hors tritium). Après traitement, ces eaux qui ne contiennent plus que du tritium sont stockées sur place (plus de 1 million de m3 actuellement), sans autorisation de rejet à ce jour.
Une autre préoccupation majeure a été et reste la mise en sécurité des nombreux assemblages de combustible présents au moment de l’accident dans les piscines situées en partie haute des réacteurs endommagés. Des prouesses en matière d’ingénierie de conception, de construction de structure et d’intervention en milieu hostile ont été réalisées en un temps record. L’évacuation de la piscine la plus critique (réacteur 4) a été menée à bien entre 2012 et 2014, et le programme se poursuit sur les autres réacteurs, avec un objectif 2022 pour l’évacuation complète.
La configuration effective des cœurs partiellement fondus des réacteurs 1,2 et 3, et du corium qui en est issu est encore mal connue. La mise au point d’équipements de prise de vue téléopérés et de modes opératoires adaptés à un environnement à fort débit de dose ont permis d’accéder récemment à une première vision de la situation. La procédure technique de démantèlement de ces cœurs est encore à l’étude (sous eau ? à sec ?).
Les mesures d’évacuation des populations rapidement engagées lors de l’accident concerneront au total 1150 km2 où vivaient initialement 81000 personnes. Elles concernent encore aujourd’hui 370 km2 où vivaient initialement 21000 personnes. Ces mesures ont contribué à limiter efficacement les doses reçues par le public : sur 421000 personnes suivies, seules 930 ont reçu une dose supérieure à 5 mSv, avec un maximum de 25 mSv. Un suivi de la thyroïde des enfants de moins de 18 ans de la préfecture de Fukushima (300 476 enfants) ne révèle pas de différence significative par rapport à un suivi effectué dans des préfectures non touchées par les retombées. Les conséquences sanitaires éventuelles de ces expositions radiologiques très limitées de la population seront statistiquement indécelables. En revanche, les traumatismes psychologiques et sociétaux provoqués par l’évacuation des populations du fait de l’accident nucléaire de Fukushima sont tenus pour responsables à ce jour de 1800 décès prématurés (suicides, alcoolisme, dépression…).
Indépendamment de l’accident nucléaire, le drame du tsunami c’est 560 km2 dévastés (considérés aujourd’hui comme non ré habitables), 16500 morts et disparus, 160000 sinistrés, et, à ce jour, 1400 décès prématurés du fait des traumatismes psychologiques et sociétaux.
Chez les travailleurs de la centrale (TEPCO et ses sous-traitants), l’exposition radiologique lors de l’accident et dans les années qui ont suivi a été globalement maîtrisée : de 2011 à 2016, sur un total de 94000 travailleurs suivis, seuls 2900 ont dépassé une dose cumulée de 50 mSv et seuls 9 d’entre eux ont reçu plus de 200 mSv, avec un maximum de 680 mSv. Là encore les effets éventuels sur la santé de ces expositions seront statistiquement indécelables.
Aujourd’hui, après les travaux systématiques de décontamination des sols, l’exposition radiologique autour du site et sur le site lui-même est négligeable. « Plusieurs membres de la Commission Locale d’Information de la Hague sont allés sur les lieux l’année dernière et ont laissé en marche leur dosimètre pendant tout le voyage. A 40 m du réacteur R, le débit de dose atteint 40 microSV/h, mais dans les alentours, il est souvent inférieur à l’exposition naturelle mesurée à Cherbourg (0,07 microSv/h), ou en tout état de cause, à celle enregistrée pendant le trajet en avion (0,48 microSv/h).
Pour leur production d’électricité, les Japonais n’ont pas renoncé au nucléaire. L’arrêt complet de 2011 a été suivi d’une profonde révision des règles et dispositions de sûreté. 11 réacteurs sont autorisés à fonctionner en 2018, et il est prévu que le nucléaire remonte à horizon 2030 à son niveau de 2010.
Parmi les questions : est-ce que le modèle à eau pressurisée aurait été plus résistant que le modèle à eau bouillante ? Réponse de Jean François Sornein : « En France les REP sont équipés de recombineurs d’hydrogène, et de filtres à sable. Dans un scenario de fusion partielle du cœur, le risque d’explosion serait mieux maîtrisé, et les rejets limités. Par ailleurs, l’accident de Fukushima a déclenché la mise en œuvre d’une nouvelle étape majeure dans l’amélioration de la sûreté des réacteurs.
Anne-Marie Goube – Présidente WiN Bourgogne
[1] L’enregistrement audio et la présentation sont disponibles sur le site sfenbourgogne.fr